Les tribulations du déficit budgétaire au Maroc
La maîtrise du déficit budgétaire au Maroc est souvent un casse-tête pour les décideurs politiques, même en période d’expansion. Et lorsque la conjoncture ne se prête pas à une dépense généreuse, le coût de la timidité des réformes annoncées ou prévues peut être très lourd.
Il est désormais bien établi que le Maroc ne peut plus réaliser de larges taux de croissance pour les prochaines années: si le FMI continue d’espérer une croissance supérieure à 5% pour les prochaines 4 à 5 années, ses différentes projections depuis 2012 montrent un ajustement régulier à la baisse, mais qui reste encore supérieur à la croissance potentielle de facto de l’économie marocaine, plutôt proche des 4%.
Les hypothèses de croissance d’une année à l’autre sont importantes pour le budget car c’est ainsi que les recettes fiscales peuvent être estimées, et les perspectives de croissance donnent aussi une idée sur la capacité d’endettement de l’Etat, ou encore sa marge de manœuvre pour réformer ses postes de dépense, comme le traitement des fonctionnaires ou la caisse de compensation. Pécher par excès d’optimisme revient à promettre des objectifs irréalisables qui peuvent apparaître attractifs dans l’immédiat, mais qui peuvent dans le futur intermédiaire compromettre les équilibres macroéconomiques du Maroc.
A ce sujet, le Ministère des Finances a publié en Mars 2015 [xls] une projection pour la période 2015-2018 qui mérite d’être débattue; en particulier, la double hypothèse d’une réduction drastique des dépenses de compensation, et la baisse du déficit budgétaire à moins de 3% du PIB à l’horizon 2016. Si la première hypothèse peut être admise au vu du double effet de la récente baisse des prix mondiaux du pétrole et de la décompensation graduelle des produits subventionnés, la seconde suppose explicitement une croissance moyenne du PIB de 6.8% entre 2015 et 2018, soit 1.3 point de croissance en plus que les dernières projections du FMI. Cette hypothèse hautement improbable signifie qu’en termes réels, les projections du MINEFI identifient 312 Milliards de dirhams d’activités économiques qui ne se réaliseront jamais. Cela veut dire aussi que le ministère a identifié 67 Milliards de recettes fiscales qui ne se réaliseront pas non plus.
Pour avoir une idée plus précise de l’impact potentiel de cette exagération des perspectives de croissance de la part du ministère, le graphe ci-dessous représente les perspectives officielles et les compare avec les projections du FMI et l’hypothèse que la croissance du PIB au Maroc sera de 4% pour les prochaines 4 années, et enfin une hypothèse différente sur le comportement des dépenses de compensation.
La différence peut ne pas sembler significative entre les prévisions du FMI et celles du ministère, mais elle se chiffre cependant en dizaine de milliards de dirhams, et reste avant tout sensible aux projections du budget de la Caisse de Compensation. L’écart d’évolution du déficit budgétaire prévu pour la période 2015-2018 entre les perspectives du MINEFI d’un part et celles du FMI et de l’hypothèse de la croissance potentielle à 4% d’autre part peut être imputé à 75.5% à l’écart entre prévisions de croissance du PIB, mais à seulement 2.05% à l’évolution de la Caisse de Compensation.
Cela veut dire que si le poids des dépenses de subvention joue un rôle important dans la détermination du niveau de déficit à une année donnée, l’évolution de ce dernier d’une année à l’autre est beaucoup plus sensible aux perspectives de croissance. A ce sujet, le ministère peut difficilement concilier une baisse drastique des dépenses de compensation, quelques soient les gains attendus de la décompensation des produits subventionnés avec la corrélation entre consommation des biens énergétiques et croissance du PIB.
Pour conclure: l’hypothèse d’une croissance proche des 7% est irréalisable pour l’économie marocaine. Les projections du ministère redoublent d’exagération en estimant une baisse très rapide des dépenses de compensation, sans forcément faire le lien entre les habitudes de consommation des ménages, l’adaptation de l’appareil industriel au retrait progressif des subventions sur les perspectives de croissance.