Le coût de la désunion
Maintenant que l’alliance PSU-PADS-CNI (Fédération de la Gauche Démocratique) souhaite normaliser à nouveau son activité sur le champ partisan marocain, il est probablement temps de prendre un temps pour jauger du prix que la gauche marocaine dans son ensemble, et ce depuis 1977.
Le déclin de la gauche au Maroc date paradoxalement de sa première entrée au gouvernement: depuis 1997, La part des partis de gauche dans le parlement et dans le vote électoral est en constant déclin, d’autant plus qu’entre 1997 et 2011, pas moins de 6 partis en moyenne se sont présentés avec une étiquette “gauche” sur 17 formations représentées au parlement.
Peut-on raisonnablement offrir un indicateur objectif de ce qu’est un parti de gauche au Maroc? Sur la base d’indicateurs: la date de création, la participation passée ou présente à un gouvernement, la position vis-à-vis du référendum constitutionnel de 2011, et enfin l’incorporation explicite d’un qualificatif de gauche dans le sigle du parti.
Le résultat est sur le nuage de point ci-dessus, une grande partie des organisations (passées ou présentes) se revendiquant de gauche s’y retrouve. Les deux plus grands partis de gauche (en termes de sièges et de voix) le PPS et l’USFP, en font aussi partie, mais il se trouvent plus proches d’un autre groupe d’organisations.
Ceci pour dire que ce n’est pas tant la définition de ce qu’est un parti de gauche qui prime, que l’effet de candidatures présentées en ordre dispersé lors des élections législatives: en moyenne, les partis de gauche perdent 4 sièges en se présentant les uns contre les autres. Le tableau ci-dessous liste les comparaisons entre les sièges obtenus à chaque élections avec l’hypothèse de candidatures unifiées, et compare le résultat avec les sièges remportés par le premier parti.
Année | Sièges | Unie | Leader | Parti |
1963 | 29 | 34 | 69 | FDIC |
1977 | 16 | 29 | 86 | RNI* |
1984 | 37 | 35 | 55 | UC |
1993 | 56 | 51 | 48 | USFP |
1997 | 84 | 72 | 57 | USFP |
2002 | 83 | 91 | 50 | USFP |
2007 | 69 | 80 | 52 | Istiqlal |
2011 | 48 | 65 | 87 | PJD |
(* 1977: les candidats indépendants se sont ensuite regroupés dans le RNI)
Le résultat est qu’un bloc de gauche n’arrive certes pas à générer suffisamment de votes pour gouverner par lui-même, mais il se classe systématiquement en premier place entre 1997 et 2007, avant d’être le bloc d’opposition le plus large en 2011 face au PJD.
Ces calculs supposent cependant de la parts des acteurs concernés un arbitrage entre les gains espérés d’un groupe parlementaire unifié (représentant une large opposition ou bien comme partenaire de poids dans une coalition gouvernementale) et le coût de dilution de l’identité de chaque organisation dans la plateforme commune. La théorie d’A. Hammoudi suggère que les dirigeants politiques préfèrent être “الشاف الكبير ديال المحطة الصغيرة” que d’être subalternes dans une plus grande organisation.
Dans un sens ce raisonnement se tient, car chaque élection ne donne pas forcément raison à la stratégie d’unification, même si à long terme cette dernière est toujours préférable; En 1997, la gauche dite non gouvernementale avait intérêt à faire alliance entre ses composantes, mais pas avec l’USFP et le PPS.
La condition de gain à une coalition unie est pour le bloc USFP-PPS de concéder une fraction plus importante de l’amélioration à la marge du groupe parlementaire hypothétique; deux cas de figure se présentent face aux différentes composantes de gauche: le premier est une candidature unifiée qui débouche sur un groupe parlementaire de 74 sièges, le second est la somme de deux blocs dont le nombre de sièges atteint 81. Pour que la gauche non gouvernementale accepte de fusionner avec les deux autres formations, ces dernières doivent abandonner l’équivalent de 5 sièges, et ce malgré l’augmentation du groupe parlementaire de 70 à 74 sièges. Cette redistribution biaisée est à expliquer par le fait que les deux blocs peuvent légitimement préférer le cas où les deux blocs font mieux avec 7 sièges en plus que s’ils décidaient de fusionner. La différence est ainsi en faveur des partis de gauche radicale, dont l’effort de fusion ex ante est récompensé par des effets d’échelle supérieurs à ceux d’une alliance avec les deux autres organisations.
Les gains de fusion sont hétérogènes, mais permettent aussi de lisser d’un cycle électoral à l’autre les variations en sièges face aux autres organisations politiques: en l’occurrence, une participation de la gauche non gouvernementale aux élections 2011 aurait pu donner à une candidature unifiée 21 sièges de plus que les 65 du premier tableau, mettant ainsi entre la liste de gauche unifiée et le PJD moins de 6 sièges de différences.
Que faut-il en conclure? Que la fédération de gauche a tout intérêt à abolir toute condition d’organisation de campagne électorale et se concentrer sur des candidatures uniques pour 2015 et 2016. En supposant un parlement de 395 sièges, cette stratégie devrait les aider à obtenir une moyenne de 13 sièges, un score qui lui permettra ensuite de négocier presque d’égal à égal avec les autres composantes de gauche.