The Policy Unit: Morocco by the Numbers

Policy Papers for Wonkish Discussions

Category: Mistaken Ideology

Balafrej, la FGD et la politique économique: Days of Future Past.

“Lions make leopards tame.
– Yea, but not change his spots”
Richard II, Acte 1, Scène 1

Il me semble que la pandémie COVID-19 a révélé quelque chose que je suspectais depuis un moment: la gauche démocratique au Maroc exhibe à la fois des pulsions dirigistes, et elle ne prend pas au sérieux la complexité de la sphère économique. Pis, ses gesticulations ne font que confirmer à quelle point elle est marginale. J’ai envie de parler de naufrage intellectuel, mais ce serait trahir les hauts (et faux) espoirs placés en sa capacité à apporter une réponse alternative structurée.

 

Mais je m’égare. (et je m’énerve).

Je pensais prendre un billet de blog pour répondre à toutes les assertions avancées par Balafrej depuis début Avril, mais cela risquait de prendre trop de temps, et surtout trop d’information à traiter, analyser et présenter. Avec un peu de chance, l’envie impérieuse de répondre et démontrer qu’il se fourvoie – et fourvoie la gauche démocratique avec lui- devrait suffire comme motivation principale à publier d’autres billets de blog.

La première décision qui semblait initialement être logique était la décision de la FGD (qui dispose de deux sièges sur les 395 que compte la chambre des représentants) de voter contre le décret-loi n° 2.20.320. Ce texte de deux pages propose de revoir à la hausse le niveau d’emprunts extérieurs à inscrire à la Loi de Finances 2020. L’argument présenté – à savoir que le pays dispose de suffisamment de réserves pour faire face aux besoins urgents ou prioritaires se perd dans la position plus large de la nécessité à revoir le mode de fonctionnement de l’économie marocaine. Et surtout, il néglige l’évolution historique de l’endettement extérieur marocain depuis le début des années 2000. Le Maroc a émis pour la première fois une obligation souveraine en devises mi-2007, avec une obligation à maturité de 10 ans (remboursée en 2017, donc) et est revenu sur les marchés internationaux à six reprises depuis. L’argument présenté par Balafrej – et visiblement en contradiction avec Najib Akesbi, également membre de la FGD – est un argument de conservatisme fiscal: le Maroc dispose de suffisamment de devises pour assurer son approvisionnement en denrées essentielles, il n’est pas nécessaire de relever le plafond d’endettement extérieur.

[…] Un endettement en devises pas vraiment nécessaire en ces temps de ralentissement économique […]

Or c’est une contradiction par rapport à la politique de relance budgétaire qu’il appelle de ses vœux, et trahit en vérité un manque d’articulation entre ses différents objectifs, et leurs répercussions sur le circuit économique.

Un pays comme le Maroc – disposant d’un régime d’ancrage (currency peg) à un panier de devises- verra forcément une dépréciation réelle de sa monnaie suite à une relance budgétaire – une dépréciation qui ne peut être mitigée que si le taux d’intérêt domestique augmente suffisamment pour attirer de nouvelles entrées de capitaux – elles-mêmes conditionnées par une anticipation de risque souverain ou risque-pays stables. En d’autres termes, le succès de la relance budgétaire sera influencé par son mode de financement. A ce stade, les données du MINEFI suggèrent que l’endettement domestique, mesuré par le ratio de l’encours de dette publique domestique est de l’ordre de 52% du PIB. La dette extérieure, quant à elle, représente ~ 30%, soit un encours de dette publique aux alentours de 81,4% – trop élevé pour être soutenable. Le Maroc revient en somme aux niveaux de la fin des années 1990, l’embellie de la Grande Modération mondiale en moins.

Encours de dette publique: 1998-2018

Sources: Ministère des Finances, FMI, Banque Mondiale

La politique budgétaire de relance passe forcément par un creusement de déficit, qui est créé par l’augmentation des dépenses publiques, mais aussi par un déclin des recettes fiscales, un déclin dû à une politique de réduction des taxes, ou simplement à cause d’une contraction de l’assiette fiscale. Mais une relance par le déficit budgétaire a des limites: en particulier, une fois réalisée, la relance laissera place à une politique de consolidation fiscale visant à réduire l’encours de la dette et le stabiliser aux alentours de 40% du PIB d’après la littérature. En vérité, le Maroc peut pousser même au-delà, aux alentours de 52% et 71% du PIB. Cela signifie aussi qu’avec l’endettement actuel, il y a peu de marge de manœuvre pour une relance supplémentaire – d’autant plus que le Maroc a largement décroché par rapport aux prévisions du FMI publiées dans les rapports au titre de l’article IV. Le rapport de 2016 vise une dette du trésor (mesure plus restrictive de l’encours de dette publique) aux alentours de 60% en 2020, alors que le niveau actuel s’établirait à 67% du PIB.

Devrait-on s’inquiéter pour autant? Pour l’endettement domestique, probablement. Il y a toujours un risque que ce dernier fasse effet d’éviction sur les besoins de financement des entreprises privées – mais pour l’endettement extérieur, le Maroc semble être en bonne position pour se refinancer à faible coût, et surtout apporter des devises pour assurer le financement de la relance et des chantiers de réformes structurelles. Ces dernières, nécessaires avant la pandémie COVID-19, s’imposent pour faire face à ce qui risque fort d’être un nouveau monde – ou tout simplement des réformes qui ont été mises de côté trop longtemps.

La charge d’intérêt de l’endettement extérieur est en déclin continuel: pour l’endettement extérieur public ou celui du trésor, le coût moyen est divisé par deux, passant d’un peu plus de 5% à 2,6% en vingt ans. L’outil de financement favori depuis 2007, les obligations libellées en Euros ou Dollars à longue maturité (10, 12 ou 30 ans) ont exhibé un déclin graduel du coupon initial depuis.

Sources: MINEFI, bourse.lu, Macrobond, Reuters

Après une harmonisation des coupons par maturité et dénomination en devises, on peut voir que le Maroc a bénéficié d’une certaine manière du déclin tendanciel des rendements d’obligations souveraines américaine et allemande à maturité similaire. Le déclin du coupon revient à une charge d’intérêt inférieure d’une émission d’obligation à l’autre. La dernière émission de 2019 s’est effectuée à un coupon de 1,5%  pour une maturité de 12 ans- un chiffre inimaginable il y a huit ans par exemple, quand une double-émission en 2012 donnait un coupon de 4,25% pour la maturité de 10 ans. Le fait est que le Maroc est en bonne posture pour émettre une nouvelle obligation sur les marchés internationaux – grâce notamment à une segmentation croissante sur le marché de la dette souveraine entre cœur et périphérie des pays développés.

En vérité le rendement des obligations souveraines extérieures marocaine a été remarquablement stable depuis 2011. En combinant les prix historiques des émissions cumulées entre 2007 et 2019, je reconstruit un indice synthétique de ces Morocco-bonds sur une fréquence quasi-journalière. La correspondance entre prix d’actions et rendements permet de voir que ce dernier s’est stabilité dès 2012-2013 aux alentours de 4,2%, un taux qui sera appelé à décliner au fur et à mesure que les $ et €-bonds de 2024 et 2022 arrivent à maturité.

Rendement d'une obligation synthétique combinant les rendements des émissions d'obligations souveraines marocaines entre 2007 et 2019

Sources: Bourse.lu, Macrobond, Reuters.

Pour une petite économie émergente comme le Maroc, le pouvoir d’influence et de négociation vis-à-vis des détenteurs de sa dette extérieure est faible. Il est donc logique d’interpréter le déclin du rendement exigé de cet indice synthétique comme un signal encourageant, dans le sens où la segmentation sur le marché secondaire des dettes souveraines n’identifie pas le Maroc comme porteur d’un risque-pays ou risque souverain significatif. Au contraire, le rendement de cette obligation synthétique aura accompagné le déclin graduel des deux obligations de référence retenues plus haut (dettes allemande et américaine) dans leur évolution depuis 2007.

Rendements: obligations US, DE et Marocaine. Maturité 10 ans.

Sources: Idem.

Que faut-il déduire des éléments évoqués plus haut? D’abord, que la décision de voter contre le relèvement du plafond d’endettement extérieur n’était pas basé sur un raisonnement économique sain. J’espère revenir plus en détail sur l’autre argument présenté par Balafrej – et repris d’une manière oblique par Akesbi – sur la nécessité de rationner les importations au Maroc en faveur d’une production locale, ou en donnant la priorité aux denrées essentielles. Ensuite, refuser d’augmenter l’endettement extérieur témoigne d’une méconnaissance des mécanismes de transmission d’une politique budgétaire de relance sur les réserves de devises actuellement détenues par le Maroc, et de la nécessité d’accumuler de la dette publique supplémentaire d’une manière équilibrée à cause de l’effet potentiel d’éviction sur la demande privée pour la liquidité. Enfin, il faut voir l’endettement extérieur comme un outil de discipline fiscale – une réforme structurelle qu’il faut envisager sérieusement – comme l’adoption d’une règle fiscale, qui gouverne la majorité des dépenses publiques d’une loi de finances à l’autre – et dont les bénéfices sur le long terme ont été évoqués pour les pays émergents sous des conditions favorables au soutien de l’investissement public, aux infrastructures et aux dépenses de santé, par exemple.

Le coût de la désunion

Maintenant que l’alliance PSU-PADS-CNI (Fédération de la Gauche Démocratique) souhaite normaliser à nouveau son activité sur le champ partisan marocain, il est probablement temps de prendre un temps pour jauger du prix que la gauche marocaine dans son ensemble, et ce depuis 1977.

Le déclin de la gauche au Maroc date paradoxalement de sa première entrée au gouvernement: depuis 1997, La part des partis de gauche dans le parlement et dans le vote électoral est en constant déclin, d’autant plus qu’entre 1997 et 2011, pas moins de 6 partis en moyenne se sont présentés avec une étiquette “gauche” sur 17 formations représentées au parlement.

La gauche radicale aura contribué significativement au déclin du vote progressiste dès 1997 par sa fragmentation

La gauche radicale aura contribué significativement au déclin du vote progressiste dès 1997 par sa fragmentation

Peut-on raisonnablement offrir un indicateur objectif de ce qu’est un parti de gauche au Maroc? Sur la base d’indicateurs: la date de création, la participation passée ou présente à un gouvernement, la position vis-à-vis du référendum constitutionnel de 2011, et enfin l’incorporation explicite d’un qualificatif de gauche dans le sigle du parti.

Analyse de composantes principales des organisations politique au Maroc.

Analyse de composantes principales des organisations politique au Maroc.

Le résultat est sur le nuage de point ci-dessus, une grande partie des organisations (passées ou présentes) se revendiquant de gauche s’y retrouve. Les deux plus grands partis de gauche (en termes de sièges et de voix) le PPS et l’USFP, en font aussi partie, mais il se trouvent plus proches d’un autre groupe d’organisations.

Ceci pour dire que ce n’est pas tant la définition de ce qu’est un parti de gauche qui prime, que l’effet de candidatures présentées en ordre dispersé lors des élections législatives: en moyenne, les partis de gauche perdent 4 sièges en se présentant les uns contre les autres. Le tableau ci-dessous liste les comparaisons entre les sièges obtenus à chaque élections avec l’hypothèse de candidatures unifiées, et compare le résultat avec les sièges remportés par le premier parti.

Année Sièges Unie Leader Parti
1963 29 34 69 FDIC
1977 16 29 86 RNI*
1984 37 35 55 UC
1993 56 51 48 USFP
1997 84 72 57 USFP
2002 83 91 50 USFP
2007 69 80 52 Istiqlal
2011 48 65 87 PJD

(* 1977: les candidats indépendants se sont ensuite regroupés dans le RNI)

Le résultat est qu’un bloc de gauche n’arrive certes pas à générer suffisamment de votes pour gouverner par lui-même, mais il se classe systématiquement en premier place entre 1997 et 2007, avant d’être le bloc d’opposition le plus large en 2011 face au PJD.

Ces calculs supposent cependant de la parts des acteurs concernés un arbitrage entre les gains espérés d’un groupe parlementaire unifié (représentant une large opposition ou bien comme partenaire de poids dans une coalition gouvernementale) et le coût de dilution de l’identité de chaque organisation dans la plateforme commune. La théorie d’A. Hammoudi suggère que les dirigeants politiques préfèrent être “الشاف الكبير ديال المحطة الصغيرة” que d’être subalternes dans une plus grande organisation.

Dans un sens ce raisonnement se tient, car chaque élection ne donne pas forcément raison à la stratégie d’unification, même si à long terme cette dernière est toujours préférable; En 1997, la gauche dite non gouvernementale avait intérêt à faire alliance entre ses composantes, mais pas avec l’USFP et le PPS.

Formation de coalitions et condition de transition

Formation de coalitions et condition de transition

La condition de gain à une coalition unie est pour le bloc USFP-PPS de concéder une fraction plus importante de l’amélioration à la marge du groupe parlementaire hypothétique; deux cas de figure se présentent face aux différentes composantes de gauche: le premier est une candidature unifiée qui débouche sur un groupe parlementaire de 74 sièges, le second est la somme de deux blocs dont le nombre de sièges atteint 81. Pour que la gauche non gouvernementale accepte de fusionner avec les deux autres formations, ces dernières doivent abandonner l’équivalent de 5 sièges, et ce malgré l’augmentation du groupe parlementaire de 70 à 74 sièges. Cette redistribution biaisée est à expliquer par le fait que les deux blocs peuvent légitimement préférer le cas où les deux blocs font mieux avec 7 sièges en plus que s’ils décidaient de fusionner. La différence est ainsi en faveur des partis de gauche radicale, dont l’effort de fusion ex ante est récompensé par des effets d’échelle supérieurs à ceux d’une alliance avec les deux autres organisations.

Les gains de fusion sont hétérogènes, mais permettent aussi de lisser d’un cycle électoral à l’autre les variations en sièges face aux autres organisations politiques: en l’occurrence, une participation de la gauche non gouvernementale aux élections 2011 aurait pu donner à une candidature unifiée 21 sièges de plus que les 65 du premier tableau, mettant ainsi entre la liste de gauche unifiée et le PJD moins de 6 sièges de différences.

Que faut-il en conclure? Que la fédération de gauche a tout intérêt à abolir toute condition d’organisation de campagne électorale et se concentrer sur des candidatures uniques pour 2015 et 2016. En supposant un parlement de 395 sièges, cette stratégie devrait les aider à obtenir une moyenne de 13 sièges, un score qui lui permettra ensuite de négocier presque d’égal à égal avec les autres composantes de gauche.