The Policy Unit: Morocco by the Numbers

Policy Papers for Wonkish Discussions

Month: May, 2020

L’espace fiscal – limites de la politique de relance budgétaire

En rédigeant ce post, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à l’ouvrage de Wood & Dempster “The  Narrow Margin” – documentant l’effort de guerre de la Grande-Bretagne durant le Blitz. (et par ricochet, l’excellent film de Guy Hamilton sur la Bataille d’Angleterre en 1969) “Narrow Margin” semble s’appliquer d’une manière très appropriée à la situation au Maroc: faire une relance budgétaire pour contrecarrer l’effet récessif du confinement domestique et ailleurs dans le monde entraîne des risques.

Le budget économique prévisionnel pour 2020, publié par le HCP, dresse un portrait peu flatteur des perspectives économiques pour le Maroc. La situation n’était déjà pas rassurante, avec une prévision tournant autour de 2,3% de croissance – bien loin des prévisions du FMI publiées en 2018 par exemple, qui prévoyait 4,2%. Ce dernier prévoit même une contraction de 3,7% du PIB en 2020, un ralentissement sans précédent qui aboutirait à une destruction réelle de 37 Milliards MAD de biens et services, une contraction équivalente au PIB de 2017. L’impact sur le marché du travail serait désastreux, puisque cette récession implique une destruction de 190.000 emplois parmi la population active occupée – le taux de chômage pourrait augmenter à 10,3% de son niveau de 9,02% en 2019 (estimation BIT) – une estimation conservatrice au vu des caractéristiques du marché de travail au Maroc, puisqu’une partie des chômeurs (surtout des femmes) abandonnent très vite tout espoir de trouver un emploi, et deviennent inactifs.

Les différents programmes de transferts cash mis en place par le gouvernement participent de la politique de relance nécessaire pour limiter les effets économiques et sociaux de la récession – mais ces politiques ont une limite. Le Maroc, petite économie ouverte, ne dispose pas de la même marge de manœuvre que les économies mondiales – surtout en matière de politique budgétaire et d’endettement. Sans sacrifier aux détails de la politique budgétaire, cette dernière peut être simplifiée à une expression gouvernant l’évolution du déficit budgétaire, le stock de dette et l’intérêt sur cette dernière

\dfrac{T_t}{Y_t}+\dfrac{B_{t+1}}{Y_{t+1}}(1+g_t)=\dfrac{G_t}{Y_t}+r(B_t)\dfrac{B_t}{Y_t}

Où les recettes (fiscales et d’emprunt) financent les dépenses publiques et le service de dette. La croissance économique g permet de réduire la charge de la dette à la période suivante. Le gouvernement doit donc assurer un équilibre délicat entre son déficit budgétaire d’un côté, et l’accumulation de la dette – il peut également dépendre de la croissance économique pour réduire le ratio d’endettement public par rapport au PIB tant que cette dernière est supérieure à la variation du stock de dette. En période de récession, quand la croissance est nulle ou négative, le ratio de dette publique explose – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, tant que le taux d’intérêt sur cette dette n’augmente pas au point de pénaliser les finances publiques.

Le Maroc a eu une expérience douloureuse en matière de politique fiscale hasardeuse – qui a été ponctuée par une crise de dette souveraine, suivie d’un plan d’ajustement structurel qui laisse encore ses traces sur l’économie marocaine. Après une crise de dette souveraine au début des années 1980, le Maroc a été obligé par ses créditeurs – dont la Banque Mondiale et le FMI- à revoir sa structure économique. La croissance exponentielle des prix du Phosphate au milieu des années 1970 a permis de financer l’explosion de dépenses publiques – un boom qui pris fin soudainement à la fin des années 1970 avec le second choc pétrolier. Le Maroc a dû financer ses dépenses (et notamment celles liées à la guerre du Sahara) par des emprunts aux intérêts élevés, mais au rendement réel négatif. La dette publique extérieure est multipliée par 10 entre 1975 et 1983. Les réformes structurelles sur lesquelles le Maroc s’est engagé tournaient surtout autour de la libéralisation de l’économie, et notamment le secteur de commerce extérieur – à travers une libération des exportations et importations, mais aussi en dévaluant le Dirham. Ces réformes ont également touché à la structure du budget, en réduisant le nombre d’incitations fiscales en faveur d’une extension de l’assiette fiscale. La priorité donnée au remboursement de la dette – surtout extérieure- n’a pas été sans heurts (avec des retards fréquents de paiement par exemple) et n’a été réalisée que grâce à un ralentissement des programmes d’investissements publiques. Il est important de souligner que c’est à partir de 1983 que les dépenses d’investissement ont décroché par rapport à celles du fonctionnement, alors que les deux augmentaient à un rythme comparable. La fin du PAS n’a pas été suivie d’une embellie économique – on se rappellera la fameuse “crise cardiaque” évoquée par Hassan II en 1995, et la campagne d’assainissement lancée par son ministre de l’intérieur, Driss Basri en 1996, comme deux expressions d’un gouvernement financièrement aux abois. En vérité, ce n’est qu’à la fin des années 1990 que le Maroc retrouve un rythme économique stable. En particulier, l’endettement public s’est considérablement réduit, grâce notamment à des programmes de conversion de dette en investissement, et à une politique budgétaire prudente, qui privilégiait les équilibres macroéconomiques. Depuis 2008-2009, le Maroc est revenu à des niveaux plus élevés de dette publique relative au PIB, même si cette dernière reste comparativement stable.

Sources: RDH50, Banque Mondiale, Ministère des Finances.

A l’issue du PAS de 1983-1992, l’encours de dette a entamé un déclin régulier jusqu’à 2008, alors même que le déficit budgétaire a fait des yo-yo, au gré de l’évolution de l’économie marocaine. En 2007-2008, le Maroc a même réussi l’exploit de générer un excédent budgétaire. Les dernières années on connu une consolidation graduelle depuis 2011. Néanmoins, il faut relever que l’évolution contemporaine des deux indicateurs de finances publiques n’exhibe pas de corrélation significative. En 2018, une corrélation légèrement négative pourrait laisser à penser qu’il n’y a pas de relation entre les deux indicateurs.

Sources: Idem.

Ce serait cependant minimiser la relation à long terme entre les deux (et autres agrégats macroéconomiques) puisque le stock de dette ne répercute pas immédiatement les variations en déficit public. Au contraire, il y a des réponses étalées sur le temps, avec des sensibilités différentes.

Les graphes ci-dessous proposent une décomposition historique de l’évolution de l’encours de dette (%PIB) et du coût moyen de la dette – l’approximation du rendement de cette dernière sur la période 1960-2018. Il permet de distinguer la contribution de chaque composante de l’équation budgétaire (croissance, dette, déficit et taux) pour les deux composantes.

Sources: Idem.

La décomposition historique montre à quel point l’économie marocaine – et particulièrement le budget – a été affectée par les séquelles du PAS et de la crise de dette des années 1980. Le coût moyen de la dette a été considérablement affecté par le niveau de cette dernière, et son déclin n’a été obtenu qu’au prix d’une compression des dépenses publiques (et notamment l’investissement). Le coût moyen actuellement est inférieur à sa moyenne de long terme, créant ainsi une opportunité limitée à faire une relance budgétaire. L’évolution de l’encours de la dette quant à lui apporte une illustration plus ambiguë,  puisqu’elle suggère des contributions contemporaines hétérogènes: à part l’épisode de 1983 où l’explosion de l’encours de dette est clairement attribuée à la hausse du taux d’intérêt, les autres années trahissent des contributions confuses de chaque composante sélectionnée à cet effet.

Que peut-on conclure des expériences passées? Une relance budgétaire est certainement désirable en période de récession – son efficacité cependant sera tributaire de plusieurs facteurs – celui mis en avant est la santé des finances publiques. Le coût de la dette serait supportable à court-terme, mais l’envolée du stock de dette fera en sorte que ce dernier augmentera très vite – trop vite pour laisser à la relance le temps d’affecter les agrégats macroéconomiques.

 

Balafrej, la FGD et la politique économique: Days of Future Past.

“Lions make leopards tame.
– Yea, but not change his spots”
Richard II, Acte 1, Scène 1

Il me semble que la pandémie COVID-19 a révélé quelque chose que je suspectais depuis un moment: la gauche démocratique au Maroc exhibe à la fois des pulsions dirigistes, et elle ne prend pas au sérieux la complexité de la sphère économique. Pis, ses gesticulations ne font que confirmer à quelle point elle est marginale. J’ai envie de parler de naufrage intellectuel, mais ce serait trahir les hauts (et faux) espoirs placés en sa capacité à apporter une réponse alternative structurée.

 

Mais je m’égare. (et je m’énerve).

Je pensais prendre un billet de blog pour répondre à toutes les assertions avancées par Balafrej depuis début Avril, mais cela risquait de prendre trop de temps, et surtout trop d’information à traiter, analyser et présenter. Avec un peu de chance, l’envie impérieuse de répondre et démontrer qu’il se fourvoie – et fourvoie la gauche démocratique avec lui- devrait suffire comme motivation principale à publier d’autres billets de blog.

La première décision qui semblait initialement être logique était la décision de la FGD (qui dispose de deux sièges sur les 395 que compte la chambre des représentants) de voter contre le décret-loi n° 2.20.320. Ce texte de deux pages propose de revoir à la hausse le niveau d’emprunts extérieurs à inscrire à la Loi de Finances 2020. L’argument présenté – à savoir que le pays dispose de suffisamment de réserves pour faire face aux besoins urgents ou prioritaires se perd dans la position plus large de la nécessité à revoir le mode de fonctionnement de l’économie marocaine. Et surtout, il néglige l’évolution historique de l’endettement extérieur marocain depuis le début des années 2000. Le Maroc a émis pour la première fois une obligation souveraine en devises mi-2007, avec une obligation à maturité de 10 ans (remboursée en 2017, donc) et est revenu sur les marchés internationaux à six reprises depuis. L’argument présenté par Balafrej – et visiblement en contradiction avec Najib Akesbi, également membre de la FGD – est un argument de conservatisme fiscal: le Maroc dispose de suffisamment de devises pour assurer son approvisionnement en denrées essentielles, il n’est pas nécessaire de relever le plafond d’endettement extérieur.

[…] Un endettement en devises pas vraiment nécessaire en ces temps de ralentissement économique […]

Or c’est une contradiction par rapport à la politique de relance budgétaire qu’il appelle de ses vœux, et trahit en vérité un manque d’articulation entre ses différents objectifs, et leurs répercussions sur le circuit économique.

Un pays comme le Maroc – disposant d’un régime d’ancrage (currency peg) à un panier de devises- verra forcément une dépréciation réelle de sa monnaie suite à une relance budgétaire – une dépréciation qui ne peut être mitigée que si le taux d’intérêt domestique augmente suffisamment pour attirer de nouvelles entrées de capitaux – elles-mêmes conditionnées par une anticipation de risque souverain ou risque-pays stables. En d’autres termes, le succès de la relance budgétaire sera influencé par son mode de financement. A ce stade, les données du MINEFI suggèrent que l’endettement domestique, mesuré par le ratio de l’encours de dette publique domestique est de l’ordre de 52% du PIB. La dette extérieure, quant à elle, représente ~ 30%, soit un encours de dette publique aux alentours de 81,4% – trop élevé pour être soutenable. Le Maroc revient en somme aux niveaux de la fin des années 1990, l’embellie de la Grande Modération mondiale en moins.

Encours de dette publique: 1998-2018

Sources: Ministère des Finances, FMI, Banque Mondiale

La politique budgétaire de relance passe forcément par un creusement de déficit, qui est créé par l’augmentation des dépenses publiques, mais aussi par un déclin des recettes fiscales, un déclin dû à une politique de réduction des taxes, ou simplement à cause d’une contraction de l’assiette fiscale. Mais une relance par le déficit budgétaire a des limites: en particulier, une fois réalisée, la relance laissera place à une politique de consolidation fiscale visant à réduire l’encours de la dette et le stabiliser aux alentours de 40% du PIB d’après la littérature. En vérité, le Maroc peut pousser même au-delà, aux alentours de 52% et 71% du PIB. Cela signifie aussi qu’avec l’endettement actuel, il y a peu de marge de manœuvre pour une relance supplémentaire – d’autant plus que le Maroc a largement décroché par rapport aux prévisions du FMI publiées dans les rapports au titre de l’article IV. Le rapport de 2016 vise une dette du trésor (mesure plus restrictive de l’encours de dette publique) aux alentours de 60% en 2020, alors que le niveau actuel s’établirait à 67% du PIB.

Devrait-on s’inquiéter pour autant? Pour l’endettement domestique, probablement. Il y a toujours un risque que ce dernier fasse effet d’éviction sur les besoins de financement des entreprises privées – mais pour l’endettement extérieur, le Maroc semble être en bonne position pour se refinancer à faible coût, et surtout apporter des devises pour assurer le financement de la relance et des chantiers de réformes structurelles. Ces dernières, nécessaires avant la pandémie COVID-19, s’imposent pour faire face à ce qui risque fort d’être un nouveau monde – ou tout simplement des réformes qui ont été mises de côté trop longtemps.

La charge d’intérêt de l’endettement extérieur est en déclin continuel: pour l’endettement extérieur public ou celui du trésor, le coût moyen est divisé par deux, passant d’un peu plus de 5% à 2,6% en vingt ans. L’outil de financement favori depuis 2007, les obligations libellées en Euros ou Dollars à longue maturité (10, 12 ou 30 ans) ont exhibé un déclin graduel du coupon initial depuis.

Sources: MINEFI, bourse.lu, Macrobond, Reuters

Après une harmonisation des coupons par maturité et dénomination en devises, on peut voir que le Maroc a bénéficié d’une certaine manière du déclin tendanciel des rendements d’obligations souveraines américaine et allemande à maturité similaire. Le déclin du coupon revient à une charge d’intérêt inférieure d’une émission d’obligation à l’autre. La dernière émission de 2019 s’est effectuée à un coupon de 1,5%  pour une maturité de 12 ans- un chiffre inimaginable il y a huit ans par exemple, quand une double-émission en 2012 donnait un coupon de 4,25% pour la maturité de 10 ans. Le fait est que le Maroc est en bonne posture pour émettre une nouvelle obligation sur les marchés internationaux – grâce notamment à une segmentation croissante sur le marché de la dette souveraine entre cœur et périphérie des pays développés.

En vérité le rendement des obligations souveraines extérieures marocaine a été remarquablement stable depuis 2011. En combinant les prix historiques des émissions cumulées entre 2007 et 2019, je reconstruit un indice synthétique de ces Morocco-bonds sur une fréquence quasi-journalière. La correspondance entre prix d’actions et rendements permet de voir que ce dernier s’est stabilité dès 2012-2013 aux alentours de 4,2%, un taux qui sera appelé à décliner au fur et à mesure que les $ et €-bonds de 2024 et 2022 arrivent à maturité.

Rendement d'une obligation synthétique combinant les rendements des émissions d'obligations souveraines marocaines entre 2007 et 2019

Sources: Bourse.lu, Macrobond, Reuters.

Pour une petite économie émergente comme le Maroc, le pouvoir d’influence et de négociation vis-à-vis des détenteurs de sa dette extérieure est faible. Il est donc logique d’interpréter le déclin du rendement exigé de cet indice synthétique comme un signal encourageant, dans le sens où la segmentation sur le marché secondaire des dettes souveraines n’identifie pas le Maroc comme porteur d’un risque-pays ou risque souverain significatif. Au contraire, le rendement de cette obligation synthétique aura accompagné le déclin graduel des deux obligations de référence retenues plus haut (dettes allemande et américaine) dans leur évolution depuis 2007.

Rendements: obligations US, DE et Marocaine. Maturité 10 ans.

Sources: Idem.

Que faut-il déduire des éléments évoqués plus haut? D’abord, que la décision de voter contre le relèvement du plafond d’endettement extérieur n’était pas basé sur un raisonnement économique sain. J’espère revenir plus en détail sur l’autre argument présenté par Balafrej – et repris d’une manière oblique par Akesbi – sur la nécessité de rationner les importations au Maroc en faveur d’une production locale, ou en donnant la priorité aux denrées essentielles. Ensuite, refuser d’augmenter l’endettement extérieur témoigne d’une méconnaissance des mécanismes de transmission d’une politique budgétaire de relance sur les réserves de devises actuellement détenues par le Maroc, et de la nécessité d’accumuler de la dette publique supplémentaire d’une manière équilibrée à cause de l’effet potentiel d’éviction sur la demande privée pour la liquidité. Enfin, il faut voir l’endettement extérieur comme un outil de discipline fiscale – une réforme structurelle qu’il faut envisager sérieusement – comme l’adoption d’une règle fiscale, qui gouverne la majorité des dépenses publiques d’une loi de finances à l’autre – et dont les bénéfices sur le long terme ont été évoqués pour les pays émergents sous des conditions favorables au soutien de l’investissement public, aux infrastructures et aux dépenses de santé, par exemple.