The Policy Unit: Morocco by the Numbers

Policy Papers for Wonkish Discussions

Category: Data Analysis

L’espace fiscal – limites de la politique de relance budgétaire

En rédigeant ce post, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à l’ouvrage de Wood & Dempster “The  Narrow Margin” – documentant l’effort de guerre de la Grande-Bretagne durant le Blitz. (et par ricochet, l’excellent film de Guy Hamilton sur la Bataille d’Angleterre en 1969) “Narrow Margin” semble s’appliquer d’une manière très appropriée à la situation au Maroc: faire une relance budgétaire pour contrecarrer l’effet récessif du confinement domestique et ailleurs dans le monde entraîne des risques.

Le budget économique prévisionnel pour 2020, publié par le HCP, dresse un portrait peu flatteur des perspectives économiques pour le Maroc. La situation n’était déjà pas rassurante, avec une prévision tournant autour de 2,3% de croissance – bien loin des prévisions du FMI publiées en 2018 par exemple, qui prévoyait 4,2%. Ce dernier prévoit même une contraction de 3,7% du PIB en 2020, un ralentissement sans précédent qui aboutirait à une destruction réelle de 37 Milliards MAD de biens et services, une contraction équivalente au PIB de 2017. L’impact sur le marché du travail serait désastreux, puisque cette récession implique une destruction de 190.000 emplois parmi la population active occupée – le taux de chômage pourrait augmenter à 10,3% de son niveau de 9,02% en 2019 (estimation BIT) – une estimation conservatrice au vu des caractéristiques du marché de travail au Maroc, puisqu’une partie des chômeurs (surtout des femmes) abandonnent très vite tout espoir de trouver un emploi, et deviennent inactifs.

Les différents programmes de transferts cash mis en place par le gouvernement participent de la politique de relance nécessaire pour limiter les effets économiques et sociaux de la récession – mais ces politiques ont une limite. Le Maroc, petite économie ouverte, ne dispose pas de la même marge de manœuvre que les économies mondiales – surtout en matière de politique budgétaire et d’endettement. Sans sacrifier aux détails de la politique budgétaire, cette dernière peut être simplifiée à une expression gouvernant l’évolution du déficit budgétaire, le stock de dette et l’intérêt sur cette dernière

\dfrac{T_t}{Y_t}+\dfrac{B_{t+1}}{Y_{t+1}}(1+g_t)=\dfrac{G_t}{Y_t}+r(B_t)\dfrac{B_t}{Y_t}

Où les recettes (fiscales et d’emprunt) financent les dépenses publiques et le service de dette. La croissance économique g permet de réduire la charge de la dette à la période suivante. Le gouvernement doit donc assurer un équilibre délicat entre son déficit budgétaire d’un côté, et l’accumulation de la dette – il peut également dépendre de la croissance économique pour réduire le ratio d’endettement public par rapport au PIB tant que cette dernière est supérieure à la variation du stock de dette. En période de récession, quand la croissance est nulle ou négative, le ratio de dette publique explose – ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi, tant que le taux d’intérêt sur cette dette n’augmente pas au point de pénaliser les finances publiques.

Le Maroc a eu une expérience douloureuse en matière de politique fiscale hasardeuse – qui a été ponctuée par une crise de dette souveraine, suivie d’un plan d’ajustement structurel qui laisse encore ses traces sur l’économie marocaine. Après une crise de dette souveraine au début des années 1980, le Maroc a été obligé par ses créditeurs – dont la Banque Mondiale et le FMI- à revoir sa structure économique. La croissance exponentielle des prix du Phosphate au milieu des années 1970 a permis de financer l’explosion de dépenses publiques – un boom qui pris fin soudainement à la fin des années 1970 avec le second choc pétrolier. Le Maroc a dû financer ses dépenses (et notamment celles liées à la guerre du Sahara) par des emprunts aux intérêts élevés, mais au rendement réel négatif. La dette publique extérieure est multipliée par 10 entre 1975 et 1983. Les réformes structurelles sur lesquelles le Maroc s’est engagé tournaient surtout autour de la libéralisation de l’économie, et notamment le secteur de commerce extérieur – à travers une libération des exportations et importations, mais aussi en dévaluant le Dirham. Ces réformes ont également touché à la structure du budget, en réduisant le nombre d’incitations fiscales en faveur d’une extension de l’assiette fiscale. La priorité donnée au remboursement de la dette – surtout extérieure- n’a pas été sans heurts (avec des retards fréquents de paiement par exemple) et n’a été réalisée que grâce à un ralentissement des programmes d’investissements publiques. Il est important de souligner que c’est à partir de 1983 que les dépenses d’investissement ont décroché par rapport à celles du fonctionnement, alors que les deux augmentaient à un rythme comparable. La fin du PAS n’a pas été suivie d’une embellie économique – on se rappellera la fameuse “crise cardiaque” évoquée par Hassan II en 1995, et la campagne d’assainissement lancée par son ministre de l’intérieur, Driss Basri en 1996, comme deux expressions d’un gouvernement financièrement aux abois. En vérité, ce n’est qu’à la fin des années 1990 que le Maroc retrouve un rythme économique stable. En particulier, l’endettement public s’est considérablement réduit, grâce notamment à des programmes de conversion de dette en investissement, et à une politique budgétaire prudente, qui privilégiait les équilibres macroéconomiques. Depuis 2008-2009, le Maroc est revenu à des niveaux plus élevés de dette publique relative au PIB, même si cette dernière reste comparativement stable.

Sources: RDH50, Banque Mondiale, Ministère des Finances.

A l’issue du PAS de 1983-1992, l’encours de dette a entamé un déclin régulier jusqu’à 2008, alors même que le déficit budgétaire a fait des yo-yo, au gré de l’évolution de l’économie marocaine. En 2007-2008, le Maroc a même réussi l’exploit de générer un excédent budgétaire. Les dernières années on connu une consolidation graduelle depuis 2011. Néanmoins, il faut relever que l’évolution contemporaine des deux indicateurs de finances publiques n’exhibe pas de corrélation significative. En 2018, une corrélation légèrement négative pourrait laisser à penser qu’il n’y a pas de relation entre les deux indicateurs.

Sources: Idem.

Ce serait cependant minimiser la relation à long terme entre les deux (et autres agrégats macroéconomiques) puisque le stock de dette ne répercute pas immédiatement les variations en déficit public. Au contraire, il y a des réponses étalées sur le temps, avec des sensibilités différentes.

Les graphes ci-dessous proposent une décomposition historique de l’évolution de l’encours de dette (%PIB) et du coût moyen de la dette – l’approximation du rendement de cette dernière sur la période 1960-2018. Il permet de distinguer la contribution de chaque composante de l’équation budgétaire (croissance, dette, déficit et taux) pour les deux composantes.

Sources: Idem.

La décomposition historique montre à quel point l’économie marocaine – et particulièrement le budget – a été affectée par les séquelles du PAS et de la crise de dette des années 1980. Le coût moyen de la dette a été considérablement affecté par le niveau de cette dernière, et son déclin n’a été obtenu qu’au prix d’une compression des dépenses publiques (et notamment l’investissement). Le coût moyen actuellement est inférieur à sa moyenne de long terme, créant ainsi une opportunité limitée à faire une relance budgétaire. L’évolution de l’encours de la dette quant à lui apporte une illustration plus ambiguë,  puisqu’elle suggère des contributions contemporaines hétérogènes: à part l’épisode de 1983 où l’explosion de l’encours de dette est clairement attribuée à la hausse du taux d’intérêt, les autres années trahissent des contributions confuses de chaque composante sélectionnée à cet effet.

Que peut-on conclure des expériences passées? Une relance budgétaire est certainement désirable en période de récession – son efficacité cependant sera tributaire de plusieurs facteurs – celui mis en avant est la santé des finances publiques. Le coût de la dette serait supportable à court-terme, mais l’envolée du stock de dette fera en sorte que ce dernier augmentera très vite – trop vite pour laisser à la relance le temps d’affecter les agrégats macroéconomiques.

 

Balafrej, la FGD et la politique économique: Days of Future Past.

“Lions make leopards tame.
– Yea, but not change his spots”
Richard II, Acte 1, Scène 1

Il me semble que la pandémie COVID-19 a révélé quelque chose que je suspectais depuis un moment: la gauche démocratique au Maroc exhibe à la fois des pulsions dirigistes, et elle ne prend pas au sérieux la complexité de la sphère économique. Pis, ses gesticulations ne font que confirmer à quelle point elle est marginale. J’ai envie de parler de naufrage intellectuel, mais ce serait trahir les hauts (et faux) espoirs placés en sa capacité à apporter une réponse alternative structurée.

 

Mais je m’égare. (et je m’énerve).

Je pensais prendre un billet de blog pour répondre à toutes les assertions avancées par Balafrej depuis début Avril, mais cela risquait de prendre trop de temps, et surtout trop d’information à traiter, analyser et présenter. Avec un peu de chance, l’envie impérieuse de répondre et démontrer qu’il se fourvoie – et fourvoie la gauche démocratique avec lui- devrait suffire comme motivation principale à publier d’autres billets de blog.

La première décision qui semblait initialement être logique était la décision de la FGD (qui dispose de deux sièges sur les 395 que compte la chambre des représentants) de voter contre le décret-loi n° 2.20.320. Ce texte de deux pages propose de revoir à la hausse le niveau d’emprunts extérieurs à inscrire à la Loi de Finances 2020. L’argument présenté – à savoir que le pays dispose de suffisamment de réserves pour faire face aux besoins urgents ou prioritaires se perd dans la position plus large de la nécessité à revoir le mode de fonctionnement de l’économie marocaine. Et surtout, il néglige l’évolution historique de l’endettement extérieur marocain depuis le début des années 2000. Le Maroc a émis pour la première fois une obligation souveraine en devises mi-2007, avec une obligation à maturité de 10 ans (remboursée en 2017, donc) et est revenu sur les marchés internationaux à six reprises depuis. L’argument présenté par Balafrej – et visiblement en contradiction avec Najib Akesbi, également membre de la FGD – est un argument de conservatisme fiscal: le Maroc dispose de suffisamment de devises pour assurer son approvisionnement en denrées essentielles, il n’est pas nécessaire de relever le plafond d’endettement extérieur.

[…] Un endettement en devises pas vraiment nécessaire en ces temps de ralentissement économique […]

Or c’est une contradiction par rapport à la politique de relance budgétaire qu’il appelle de ses vœux, et trahit en vérité un manque d’articulation entre ses différents objectifs, et leurs répercussions sur le circuit économique.

Un pays comme le Maroc – disposant d’un régime d’ancrage (currency peg) à un panier de devises- verra forcément une dépréciation réelle de sa monnaie suite à une relance budgétaire – une dépréciation qui ne peut être mitigée que si le taux d’intérêt domestique augmente suffisamment pour attirer de nouvelles entrées de capitaux – elles-mêmes conditionnées par une anticipation de risque souverain ou risque-pays stables. En d’autres termes, le succès de la relance budgétaire sera influencé par son mode de financement. A ce stade, les données du MINEFI suggèrent que l’endettement domestique, mesuré par le ratio de l’encours de dette publique domestique est de l’ordre de 52% du PIB. La dette extérieure, quant à elle, représente ~ 30%, soit un encours de dette publique aux alentours de 81,4% – trop élevé pour être soutenable. Le Maroc revient en somme aux niveaux de la fin des années 1990, l’embellie de la Grande Modération mondiale en moins.

Encours de dette publique: 1998-2018

Sources: Ministère des Finances, FMI, Banque Mondiale

La politique budgétaire de relance passe forcément par un creusement de déficit, qui est créé par l’augmentation des dépenses publiques, mais aussi par un déclin des recettes fiscales, un déclin dû à une politique de réduction des taxes, ou simplement à cause d’une contraction de l’assiette fiscale. Mais une relance par le déficit budgétaire a des limites: en particulier, une fois réalisée, la relance laissera place à une politique de consolidation fiscale visant à réduire l’encours de la dette et le stabiliser aux alentours de 40% du PIB d’après la littérature. En vérité, le Maroc peut pousser même au-delà, aux alentours de 52% et 71% du PIB. Cela signifie aussi qu’avec l’endettement actuel, il y a peu de marge de manœuvre pour une relance supplémentaire – d’autant plus que le Maroc a largement décroché par rapport aux prévisions du FMI publiées dans les rapports au titre de l’article IV. Le rapport de 2016 vise une dette du trésor (mesure plus restrictive de l’encours de dette publique) aux alentours de 60% en 2020, alors que le niveau actuel s’établirait à 67% du PIB.

Devrait-on s’inquiéter pour autant? Pour l’endettement domestique, probablement. Il y a toujours un risque que ce dernier fasse effet d’éviction sur les besoins de financement des entreprises privées – mais pour l’endettement extérieur, le Maroc semble être en bonne position pour se refinancer à faible coût, et surtout apporter des devises pour assurer le financement de la relance et des chantiers de réformes structurelles. Ces dernières, nécessaires avant la pandémie COVID-19, s’imposent pour faire face à ce qui risque fort d’être un nouveau monde – ou tout simplement des réformes qui ont été mises de côté trop longtemps.

La charge d’intérêt de l’endettement extérieur est en déclin continuel: pour l’endettement extérieur public ou celui du trésor, le coût moyen est divisé par deux, passant d’un peu plus de 5% à 2,6% en vingt ans. L’outil de financement favori depuis 2007, les obligations libellées en Euros ou Dollars à longue maturité (10, 12 ou 30 ans) ont exhibé un déclin graduel du coupon initial depuis.

Sources: MINEFI, bourse.lu, Macrobond, Reuters

Après une harmonisation des coupons par maturité et dénomination en devises, on peut voir que le Maroc a bénéficié d’une certaine manière du déclin tendanciel des rendements d’obligations souveraines américaine et allemande à maturité similaire. Le déclin du coupon revient à une charge d’intérêt inférieure d’une émission d’obligation à l’autre. La dernière émission de 2019 s’est effectuée à un coupon de 1,5%  pour une maturité de 12 ans- un chiffre inimaginable il y a huit ans par exemple, quand une double-émission en 2012 donnait un coupon de 4,25% pour la maturité de 10 ans. Le fait est que le Maroc est en bonne posture pour émettre une nouvelle obligation sur les marchés internationaux – grâce notamment à une segmentation croissante sur le marché de la dette souveraine entre cœur et périphérie des pays développés.

En vérité le rendement des obligations souveraines extérieures marocaine a été remarquablement stable depuis 2011. En combinant les prix historiques des émissions cumulées entre 2007 et 2019, je reconstruit un indice synthétique de ces Morocco-bonds sur une fréquence quasi-journalière. La correspondance entre prix d’actions et rendements permet de voir que ce dernier s’est stabilité dès 2012-2013 aux alentours de 4,2%, un taux qui sera appelé à décliner au fur et à mesure que les $ et €-bonds de 2024 et 2022 arrivent à maturité.

Rendement d'une obligation synthétique combinant les rendements des émissions d'obligations souveraines marocaines entre 2007 et 2019

Sources: Bourse.lu, Macrobond, Reuters.

Pour une petite économie émergente comme le Maroc, le pouvoir d’influence et de négociation vis-à-vis des détenteurs de sa dette extérieure est faible. Il est donc logique d’interpréter le déclin du rendement exigé de cet indice synthétique comme un signal encourageant, dans le sens où la segmentation sur le marché secondaire des dettes souveraines n’identifie pas le Maroc comme porteur d’un risque-pays ou risque souverain significatif. Au contraire, le rendement de cette obligation synthétique aura accompagné le déclin graduel des deux obligations de référence retenues plus haut (dettes allemande et américaine) dans leur évolution depuis 2007.

Rendements: obligations US, DE et Marocaine. Maturité 10 ans.

Sources: Idem.

Que faut-il déduire des éléments évoqués plus haut? D’abord, que la décision de voter contre le relèvement du plafond d’endettement extérieur n’était pas basé sur un raisonnement économique sain. J’espère revenir plus en détail sur l’autre argument présenté par Balafrej – et repris d’une manière oblique par Akesbi – sur la nécessité de rationner les importations au Maroc en faveur d’une production locale, ou en donnant la priorité aux denrées essentielles. Ensuite, refuser d’augmenter l’endettement extérieur témoigne d’une méconnaissance des mécanismes de transmission d’une politique budgétaire de relance sur les réserves de devises actuellement détenues par le Maroc, et de la nécessité d’accumuler de la dette publique supplémentaire d’une manière équilibrée à cause de l’effet potentiel d’éviction sur la demande privée pour la liquidité. Enfin, il faut voir l’endettement extérieur comme un outil de discipline fiscale – une réforme structurelle qu’il faut envisager sérieusement – comme l’adoption d’une règle fiscale, qui gouverne la majorité des dépenses publiques d’une loi de finances à l’autre – et dont les bénéfices sur le long terme ont été évoqués pour les pays émergents sous des conditions favorables au soutien de l’investissement public, aux infrastructures et aux dépenses de santé, par exemple.

Le destin de la médiocrité éditocratique

J’aime bien lire la chronique de Omar Saghi sur TelQuel.ma. Je ne suis pas toujours d’accord avec son argumentaire et/ou sa vision de la dynamique des institutions politiques au Maroc, je suppose que cette différence de point de vue découle de nos formations différentes.

C’est pour cela que j’ai été surpris des approximations dans sa dernière chronique, intitulée “À contre-courant. Le choix de la médiocrité économique” et les conclusions erronées qu’il en tire. Le statut du Maroc en tant que pays émergent peut être discuté – après tout il n’existe pas de définition formelle du concept, seulement un classement de pays par revenu. Ce qui est impardonnable, c’est l’alignement de chiffres approximatifs quant aux performances macroéconomiques du pays, et l’interprétation de faits économiques par Omar Saghi. Si je comprends bien sa thèse, Le Maroc choisit à contre-cœur  un modèle de croissance lente, un agenda timide de réformes, et plus généralement une médiocrité navrante mais rassurante d’un point de vue institutionnel. Omar Saghi prend ainsi pour exemple des pays d’une manière purement arbitraire (non, la Turquie et la Thaïlande ne partagent pas des traits communs avec le Maroc) et pioche allègrement dans d’autres exemples non nommés pour illustrer son point. Voyons ce qu’il en est.

A 3% dans ses meilleures années, le taux de croissance marocain peine à confirmer l’hypothétique statut de pays émergent.

Il est attendu que le Maroc réaliserait un taux de croissance entre 2.3% (FMI) et 1% (Bank Al Maghrib) en 2016. Cela peut donner crédit à l’assertion avancée ci-haut, sinon que le Maroc a enregistré depuis 1960 une croissance annuelle moyenne de 4.6%, et une moyenne de 4.36% depuis 1999. La croissance médiane n’est pas significativement différente pour les deux période: 4.03% pour 1999-2015 et 4.7% pour 1960-2015. La croissance semble ainsi converger vers un taux de croissance de 4% et le point d’écart avec l’assertion de O. Saghi est suffisamment important pour douter de sa véracité.

GGDPCes 4% sont-ils réellement l’expression d’une performance médiocre? En comparant le Maroc à 206 économies sur une période 54 ans, le graphe ci-dessous classe les pays par croissance moyenne.

Classement de croissance des pays (Source: Banque Mondiale)

Classement de croissance des pays (Source: Banque Mondiale)

Le Maroc représenté par la barre en rouge sur le graphe, a réalisé une croissance moyenne supérieure à 72% de l’ensemble des pays représentés. Pour rappel, les taux de croissance représentés sont exprimés en termes réels, par conséquent toute notion de différentiel d’inflation (dont je discuterai plus loin) est exclue de la comparaison.

Pourquoi un pays ferait-il le choix d’une croissance lente, d’une émergence sur deux générations plutôt que sur deux décennies ? La réponse se trouve en partie chez les pays qui ont fait le choix de l’émergence rapide. Prenons les cas de la Turquie et la Thaïlande, qui partagent certains traits avec le Maroc. Avec des taux de croissance frôlant les deux chiffres sur plusieurs années, les deux pays ont connu un envol économique identifié comme pleinement “émergent”, loin du poussif 3 % national. Mais à quel prix ? Hyperinflation, éclatement périodique de bulles immobilières ou financières, déstabilisation politique régulière, résolue par des coups d’État militaires tous les dix ans, les deux pays sont étonnamment proches quant à la gouvernance de leur croissance.

Les aspects de croissance, inflation et stabilité politique, ainsi que le niveau de richesse par habitant et la taille de la population de chaque pays sont représentés sur le tableau ci-dessous:

Indicateur Maroc Thaïlande Turquie
Population (Millions) (2014) 33.92 67.73 75.93
PIB Réel/Habitant (2014) 2546.6 3768.8 8864.7
Inflation 3.4 3.8 18.3
Classement Stabilité FFP (2015) 89 71 90
Croissance PIB 4.7 6.2 4.5

A part l’indicateur de stabilité politique qui ne montre aucun écart important ou significatif entre les pays désignés, la Turquie a vécu une période inflationniste entre la fin des années 1980 et le début des années 2000 à cause d’importants flux d’IDE que les structures financières n’étaient pas capables d’absorber. Cette situation a été exacerbée par la capacité du budget de l’Etat turc à générer d’importants déficits financés par de la dette extérieure. L’assertion de O. Saghi doit ainsi être renversée: la crise financière et l’épisode inflationniste ne sont pas le sous-produit de la croissance effrénée, mais le symptôme d’une mauvaise gestion de flux de capitaux.

A ce sujet le Maroc n’a pas fait le choix conscient de rester à l’écart de ces mêmes facteurs qui entraînèrent la crise financière en Turquie. Au contraire, c’est l’ambition du pays de figurer parmi les grandes destinations d’IDE, en tout cas en Afrique. Notre médiocrité ne réside pas dans nos objectifs, mais dans les résultats de nos politiques économiques peu réalistes.

Le Maroc a fait le choix d’une croissance lente.

Non. Le Maroc ambitionne de faire bien plus: le programme gouvernemental de Janvier 2012 s’est fixé une croissance annuelle moyenne de 5.5%, les partis politiques en 2011 proposaient des taux de croissance entre 5% et 7% (le PJD en particulier était ambitieux sur ce point) Le post hoc ergo propter hoc de Saghi ne tient pas: le Maroc réalise une croissance faible (relativement à ses objectifs) à cause d’une pléthore de facteurs, certainement pas le taux d’alphabétisation (contredit par le taux de chômage plus élevé chez les diplômés que le reste de la population). En particulier, Saghi fait l’impasse sur la pertinence des choix de moteur de croissance dans ce pays. Je conseille à Omar Saghi de lire cette étude du HCP réalisée en 2007 pour comprendre l’erreur de son raisonnement, et de re-vérifier ses assertions.

Le coût de la désunion

Maintenant que l’alliance PSU-PADS-CNI (Fédération de la Gauche Démocratique) souhaite normaliser à nouveau son activité sur le champ partisan marocain, il est probablement temps de prendre un temps pour jauger du prix que la gauche marocaine dans son ensemble, et ce depuis 1977.

Le déclin de la gauche au Maroc date paradoxalement de sa première entrée au gouvernement: depuis 1997, La part des partis de gauche dans le parlement et dans le vote électoral est en constant déclin, d’autant plus qu’entre 1997 et 2011, pas moins de 6 partis en moyenne se sont présentés avec une étiquette “gauche” sur 17 formations représentées au parlement.

La gauche radicale aura contribué significativement au déclin du vote progressiste dès 1997 par sa fragmentation

La gauche radicale aura contribué significativement au déclin du vote progressiste dès 1997 par sa fragmentation

Peut-on raisonnablement offrir un indicateur objectif de ce qu’est un parti de gauche au Maroc? Sur la base d’indicateurs: la date de création, la participation passée ou présente à un gouvernement, la position vis-à-vis du référendum constitutionnel de 2011, et enfin l’incorporation explicite d’un qualificatif de gauche dans le sigle du parti.

Analyse de composantes principales des organisations politique au Maroc.

Analyse de composantes principales des organisations politique au Maroc.

Le résultat est sur le nuage de point ci-dessus, une grande partie des organisations (passées ou présentes) se revendiquant de gauche s’y retrouve. Les deux plus grands partis de gauche (en termes de sièges et de voix) le PPS et l’USFP, en font aussi partie, mais il se trouvent plus proches d’un autre groupe d’organisations.

Ceci pour dire que ce n’est pas tant la définition de ce qu’est un parti de gauche qui prime, que l’effet de candidatures présentées en ordre dispersé lors des élections législatives: en moyenne, les partis de gauche perdent 4 sièges en se présentant les uns contre les autres. Le tableau ci-dessous liste les comparaisons entre les sièges obtenus à chaque élections avec l’hypothèse de candidatures unifiées, et compare le résultat avec les sièges remportés par le premier parti.

Année Sièges Unie Leader Parti
1963 29 34 69 FDIC
1977 16 29 86 RNI*
1984 37 35 55 UC
1993 56 51 48 USFP
1997 84 72 57 USFP
2002 83 91 50 USFP
2007 69 80 52 Istiqlal
2011 48 65 87 PJD

(* 1977: les candidats indépendants se sont ensuite regroupés dans le RNI)

Le résultat est qu’un bloc de gauche n’arrive certes pas à générer suffisamment de votes pour gouverner par lui-même, mais il se classe systématiquement en premier place entre 1997 et 2007, avant d’être le bloc d’opposition le plus large en 2011 face au PJD.

Ces calculs supposent cependant de la parts des acteurs concernés un arbitrage entre les gains espérés d’un groupe parlementaire unifié (représentant une large opposition ou bien comme partenaire de poids dans une coalition gouvernementale) et le coût de dilution de l’identité de chaque organisation dans la plateforme commune. La théorie d’A. Hammoudi suggère que les dirigeants politiques préfèrent être “الشاف الكبير ديال المحطة الصغيرة” que d’être subalternes dans une plus grande organisation.

Dans un sens ce raisonnement se tient, car chaque élection ne donne pas forcément raison à la stratégie d’unification, même si à long terme cette dernière est toujours préférable; En 1997, la gauche dite non gouvernementale avait intérêt à faire alliance entre ses composantes, mais pas avec l’USFP et le PPS.

Formation de coalitions et condition de transition

Formation de coalitions et condition de transition

La condition de gain à une coalition unie est pour le bloc USFP-PPS de concéder une fraction plus importante de l’amélioration à la marge du groupe parlementaire hypothétique; deux cas de figure se présentent face aux différentes composantes de gauche: le premier est une candidature unifiée qui débouche sur un groupe parlementaire de 74 sièges, le second est la somme de deux blocs dont le nombre de sièges atteint 81. Pour que la gauche non gouvernementale accepte de fusionner avec les deux autres formations, ces dernières doivent abandonner l’équivalent de 5 sièges, et ce malgré l’augmentation du groupe parlementaire de 70 à 74 sièges. Cette redistribution biaisée est à expliquer par le fait que les deux blocs peuvent légitimement préférer le cas où les deux blocs font mieux avec 7 sièges en plus que s’ils décidaient de fusionner. La différence est ainsi en faveur des partis de gauche radicale, dont l’effort de fusion ex ante est récompensé par des effets d’échelle supérieurs à ceux d’une alliance avec les deux autres organisations.

Les gains de fusion sont hétérogènes, mais permettent aussi de lisser d’un cycle électoral à l’autre les variations en sièges face aux autres organisations politiques: en l’occurrence, une participation de la gauche non gouvernementale aux élections 2011 aurait pu donner à une candidature unifiée 21 sièges de plus que les 65 du premier tableau, mettant ainsi entre la liste de gauche unifiée et le PJD moins de 6 sièges de différences.

Que faut-il en conclure? Que la fédération de gauche a tout intérêt à abolir toute condition d’organisation de campagne électorale et se concentrer sur des candidatures uniques pour 2015 et 2016. En supposant un parlement de 395 sièges, cette stratégie devrait les aider à obtenir une moyenne de 13 sièges, un score qui lui permettra ensuite de négocier presque d’égal à égal avec les autres composantes de gauche.

 

Abolissons les listes électorales

… Avant qu’il ne soit trop tard.

Le ministère de l’intérieur a publié il y a quelques semaines la taille du corps électoral en date d’Avril 2015, et si ce dernier enraye la tendance à la baisse observée depuis 2011, il reste en deçà des objectifs annoncés, et surtout, ne fait que remettre à plus tard un déclin engagé depuis 2007.

à près de 14.3 Millions d’inscrits, le corps électoral a enregistré l’arrivée de près de 1.180.000 nouveaux inscrits, un nombre considérablement beaucoup plus bas que les chiffres circulés dans la presse, où on y parle de près de 2 millions de nouveaux inscrits, dont 760.000 nouvelles inscriptions. Le ministère de l’intérieur semble donc opérer une lourde censure sur les nouvelles inscriptions sur les listes électorales, mais argumente que le passage à la CIN comme critère électoral lui présente des problèmes d’organisation.

 Cette méthode, plébiscitée par plusieurs partis politiques, présente plusieurs contraintes pratiques selon le ministère de l’intérieur.

Le tri des personnes en situation d’incapacité électorale (porteurs d’armes, anciens détenus, etc.), et des personnes n’habitant plus dans le lieu de résidence sur leur CIN nécessiterait des moyens humains importants et un budget temps dépassant les prochaines échéances électorales

La victime principale de la révision exceptionnelle des listes électorales aura certainement été la procédure d’inscription en ligne: 600.000 demandes, soit seulement un tiers des nouvelles inscriptions brutes, et cette procédure supposée aider les plus jeunes électeurs à s’inscrire n’avoir une chance de succès brut de 13% seulement, contre 57% sur l’ensemble des inscrits âgés de 25 ans et plus.

Le corps électoral 2015 n'arrive pas à combler le déficit d'électeurs cumulé depuis 2007.

Le corps électoral 2015 n’arrive pas à combler le déficit d’électeurs cumulé depuis 2007. Sources: Ministère de l’Intérieur, HCP.

Plus alarmant encore, le corps électoral des premiers votants (les 18-25 ans en l’occurrence) reste toujours inférieur à son niveau de 2007, où près de 400.000 jeunes n’ont toujours pas été remplacés, et comptent pour près d’un tiers de la baisse du corps électoral entre 2007 et 2014, et n’auront finalement contribué que 7% de la croissance du corps électoral entre 2014 et 2015.

Par rapport à 2007, ce sont près de 3.8 Millions de citoyens qui ne sont pas inscrits, et un bon tiers de ceux ci sont des premiers votants potentiels. Il est certainement beaucoup plus préférable de subir pendant quelques années des taux de participations faibles, que de perpétuer la charade des listes électorales, qui en plus de ne pas être représentatives du vrai corps électoral, discriminent activement contre ceux dont les voix devraient compter le plus: les générations futures.

 

L’Elephant Gris

Traiter le projet Tanger-Med d’échec est certainement une conclusion hâtive: le port attire un trafic important, et aura contribué significativement à attirer plus de volume au Maroc, contribuant grandement à la croissance observée pour ce dernier. D’un point de vue financier, TMPA est une entreprise profitable. Mais ce Grand Chantier n’a pas été mis en place et doté généreusement pour être une entreprise profitable ou brassant un large chiffre d’affaires: c’est un investissement en infrastructure qui aura échoué à créer l’effet d’entraînement attendu, et aura même étouffé la création de nouvelles activités économiques par un effet d’éviction. Du côté de la création d’emplois, les objectifs agrégés se sont avérés irréalisables, par excès d’ambition, ou simplement par négligence d’une estimation correcte au préalable.

G_1la création d’emplois en région de Tanger-Tétouan n’arrive à satisfaire que 21% de la demande d’emploi, qu’elle soit issue des chômeurs existants ou des nouveaux arrivants sur le marché du travail. Le résultat est que la région aura créé 81.000 emplois, alors que les prévisions de la TMPA tablent sur 145.000 emplois entre le complexe portuaire et les activités de la zone franche.

G_2La contribution moyenne de la région de Tanger-Tétouan à la croissance du PIB total est relativement faible, en comparaison avec le Grand Casablanca par exemple: entre 2007 et 2012, elle aura contribué en moyenne 6.4% à la croissance totale observée sur la même période. Le comportement de son apport à la richesse nationale reste en ligne avec la moyenne des autres régions. Dans l’absolu, la contribution de la région de Tanger n’est pas exceptionnelle, malgré l’investissement important dont elle a bénéficié. En vérité, l’impact attendu de l’investissement d’infrastructure ne s’est pas réalisé.

Le détail est disponible pour téléchargement sur ce lien [PDF]

The 2016 General Elections in Morocco

There are relatively few well-established facts as far as parliamentary election are concerned, and the one reliable constant of Moroccan politics is that no one party can reach the magic number of 198 seats, that is, an absolute majority.

The literature does not provide a coherent discourse regarding this: the ballot system has been changed many times since elections were first held in 1963, and Morocco has adopted a mixed ballot system since 2002. Similarly the ambiguous relationship between the Interior Ministry and the competing parties ensures a consensus that frequently offers national parties (such as Istiqlal, or PJD) wide representation, but still allows smaller organisation to hold on to a seat or two. The final result being a fragmented parliament that makes it harder to create stable and homogeneous coalitions.

Stable coalitions have proven to be a preferable outcome in western democracies, and the same can be applied to Morocco: a coherent majority not only can pass legislation with fewer concessions to the opposition, but they can also influence favourably the balance of power between the elected executive and the monarchy. A Prime Minister (or Head of Government since 2011) may have greater freedom to pick their cabinet and pass legislation when they can form a government with fewer and more reliable coalition members. So far PJD has failed that test even as it managed to increase its caucus substantially in the November 2011 elections.

As 2016 gets nearer, it would be interesting to assess the chances of PJD or any other contender to reach an absolute majority. The graph below plots seats against the share of garnered votes for competing parties since 1963.

VOTES

Further analysis is needed to verify whether the institutional changes elections underwent during the past half a century; using instruments to check for a ballot system effect and other determinants of majority party’s share of the electorate, estimates are presented in the table below:

------------------------------------------------------------------------------
    Seats    |      OLS             IV01             IV02             IV03    
-------------+----------------------------------------------------------------
       Votes |  .79096686***     .9867433***    .81878472***    .80423153***  
       _cons |  .01509142***    .00135272       .01069995***    .01162464***  
-------------+----------------------------------------------------------------
          R² |  .91048333       .85470362       .90826561       .90904757     
     R² Adj. |  .90968408       .85340633       .90744655       .90823549     
        RMSE |  .02228669       .02814347       .02236229       .02226678     
           N |        114             114             114             114     
------------------------------------------------------------------------------

These shows Morocco has adopted de facto a proportional system where the effective, historical threshold is 20%. Also, the institutional variables do not affect significantly the coefficient illustrated in the graph above. It is a testimony to the robustness of this vote/seat relationship that the more instrumental variables are added in, the closer estimates get to the standard OLS results.

Given the remarkable stability of effective voting electors, and on the basis of the same 395 seats-strong parliament voted in 2011, PJD needs to double its 2011 vote from 1.08 Million to 2.2 Million votes, i.e. 46% of the effective electorate. The odds of managing such a feat are not in favour of such an event: less than 3%. The table below lists the likelihoods of some 2016 events:

PJD Majority 91,97%
Istiqlal Majority 15,11%
PJD Expands Majority 14,36%
PJD Reduces Majority 99,32%

And so PJD leadership may go confident into the next election given their large electoral advantage,regardless of turnout and/or the share of rejected ballots. However they are also sure to lose some of it, and this translates into losing some of their 84 local ballot seat as well as the national supplement, and that would weaken their position further as the presumptive senior partner in future government coalitions.

Growth Perspectives in Morocco

Amid recent IMF revised reports of anaemic global growth rates, the opportunity arose to look at how Morocco’s own perspectives fare. The short answer is: not as well as one may hope. In fact, according to the HCP’s own projections back in 2007, Morocco is likely to be heading toward the least attractive scenario, with an average GDP growth around 4%. This relatively low figure suggests Morocco would lack the proper drive to halve its unemployment rate, and deal with other weaknesses in foreign trade, budget deficit and other macroeconomic aggregates.

Growth_PotentialThe paper attached to this post provides an analytical framework that accounts for the reasons behind the lagging growth in Morocco; in short, it shows institutional reforms are far more likely to yield increased growth potential than any other activist government policies within existing institutional arrangements. I

In particular, it points to the structural adjustments introduced in the 1980s as a benchmark of reforms to be introduced in more favourable global context.

The effects of institutional reforms, as captured by the Freedom House Civil Liberties indicator, is significant enough to affect both volatility and future potential growth. A 5% potential growth entails reforms implemented in Morocco would enable it to improve its ranking to the mid-40s out of 195, and a grade closer to Free than Partially Free status per Freedom House.